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Expertises d'art

Revue Experts numéro 112 | Paru le : 10.03.2014

Les arrêts sur la validité des opérations scientifiques d’expertises menées en matière artistique ne sont pas très nombreux, ce qui justifierait à soi seul l’intérêt d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation : un passager de retour de Moscou était contrôlé par l’administration des douanes, en possession de quatre tableaux qu’il déclarait comme étant de faible valeur. Les douanes ayant cependant des doutes sur cette déclaration les mettaient en dépôt pour expertise. L’expert concluait que ces tableaux étaient de Chevtchenko, de Sunykov, de Machkov et de Deineka, peintres russes des XIXe et XXe siècles, et que la valeur des tableaux pouvait être estimée autour de 300 000 euros. Le propriétaire de ces tableaux contestait, bien évidemment, l’expertise, notamment eu égard au fait que l’expert avait effectué des prélèvements d’échantillons aux fins d’analyse sans convoquer les parties à cette opération. La cour d’appel avait écarté ce moyen de nullité en estimant qu’il s’agissait là d’une simple opération technique. L’exigence du respect, par l’expert, du caractère contradictoire de ses opérations d’expertise est, bien évidemment, fondamentale, et l’article 160 du code de procédure civile prévoit que les parties sont convoquées aux mesures d’instruction. L’expertise est nulle lorsque l’expert a procédé à des investigations sans avoir convoqué les parties (Cass civ 1re, 21 juill 1976, Bull civ I, n° 78 ; Cass civ 3e, 7 fév 2007, D. 2007, AJ 806). Il est cependant admis que lorsque l’expert procède à des opérations qui sont purement matérielles ou techniques, la convocation des parties n’est pas nécessaire. Ainsi ne porte pas atteinte au principe du contradictoire l’expert qui effectue, hors la présence des parties, à la vérification des dimensions d’un local (Cass civ., 2e, 18 juin 1986, Bull. civ., II, n° 94, Gaz Pal 1987, I n° 197 ; 1re, 1er juin 1994, Bull. civ., I, n° 197) ou à l’étude des bruits (Cass civ., 3e, 14 mars 1978, Bull. civ., III, n° 117 - ce dernier arrêt précisant cependant que l’expert ne pouvait effectuer sa mission dans des conditions normales que si sa visite n’était pas annoncée). Le recueil de prélèvements aux fins d’analyse scientifique fait, indique un arrêt de la chambre commerciale (Cass com 22 oct 2013, n° 12-10.218) partie de ces “simples opérations techniques”, la Cour de cassation contrôlant la pertinence de cette qualification qu’avaient retenue les juges du fond. Le propriétaire des tableaux soulevait une deuxième contestation prise du recours, par l’expert, à l’avis d’autres techniciens. Il ne résultait pas de l’arrêt, soutenait-il en effet, que les autres techniciens à l’avis desquels l’expert avait eu recours étaient d’une autre spécialité que celui-ci. L’article 278 du code de procédure civile, s’il prévoit en effet que « l’expert peut prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien », limite cette faculté en précisant que c’est « seulement dans une spécialité distincte de la sienne ». Sur ce point, la Cour de cassation n’exerce pas de contrôle. Elle se contente de relever que la cour d’appel avait bien répondu au moyen soulevé par le demandeur à la nullité de l’expertise, et ses motifs sont souverains. Enfin, un troisième grief était soulevé. L’expert avait, en effet, recueilli des informations de ces experts exerçant dans des spécialités différentes de la sienne, mais il n’avait pas indiqué clairement, contrairement à ce que prescrit l’article 242 du Code de procédure civile, leur nom, prénoms, demeure et profession ainsi que, s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles. La Cour de cassation a, il est vrai, déjà jugé que le non-respect de ces prescriptions, ne peut entraîner la nullité du rapport d’expertise que s’il a causé un grief à la partie qui l’invoque (Cass civ., 2e, 3 juin 1977, D.1977, IR, 390, obs Julien, RTDCiv 1977, 817, obs R. Perrot ; -4 juin 1993, D.1993, IR, 182). Mais elle a aussi jugé que violaient les prescriptions de cet article l’expert qui n’a pas précisé la source de ses informations, mettant ainsi les parties dans l’impossibilité de procéder aux vérifications utiles (Cass civ 2e, 4 juin 1993, Bull civ II n° 191). En l’espèce, l’expert s’était contenté de mentionner que l’un des techniciens sollicités par lui était un « Institut de soudure » et que l’autre était un expert judiciaire qui, n'étant pas impliqué dans l'affaire, a préféré garder l'anonymat. La Cour de cassation écarte cependant ce moyen en relevant « qu'il ressort du rapport d'expertise que l'expert a pris soin de reproduire intégralement les courriers relatant de manière précise les objections techniques que M. P. a adressées aux techniciens requis, ainsi que, de manière également précise, la réponse de ces derniers ; qu'il retient encore que M. P., qui avait été ainsi mis en mesure de répondre aux avis des techniciens sollicités par l'expert dans une spécialité distincte de la sienne, ce qu'il a d'ailleurs fait dans ses écritures en invoquant à nouveau les analyses du CNEP, n'a pas sollicité l'audition par le tribunal de ces personnes comme il avait pourtant la faculté de le faire en application de l'alinéa 2 de l'article 242 du code de procédure civile ». Le moins qu’on puisse dire est que ces motifs ne sont guère convaincants. Spécialement en ce qui concerne le technicien « ayant souhaité conserver l’anonymat », il était tout de même dangereux de retenir son avis. S’il n’était « pas impliqué dans l’affaire », le demandeur à la nullité pouvait cependant se demander s’il n’avait pas de liens privilégiés, plus généraux, avec les douanes. Par ailleurs, on voit mal comment le demandeur à la nullité pouvait, puisque le technicien souhaitait conserver l’anonymat, demander son audition par le tribunal. On comprend que, sur ces derniers moyens, l’arrêt de la chambre commerciale ne figure pas au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation… A.M.

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